Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule
— et au canon du temps
Près des jardins aux ombres brisées,
Nous faisons ce que font les prisonniers,
Ce que font les chômeurs:
Nous cultivons l’espoir.
Un pays qui s’apprête à l’aube.
Nous devenons moins intelligents
Car nous épions l’heure de la victoire:
Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage
Nos ennemis veillent
— et nos ennemis allument pour nous la lumière
Dans l’obscurité des caves.
Ici, nul «moi»
Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile.
Au bord de la mort, il dit:
Il ne me reste plus de trace à perdre:
Libre je suis tout près de ma liberté.
Mon futur est dans ma main.
Bientôt je pénètrerai ma vie,
Je naîtrai libre, sans parents,
Et je choisirai pour mon nom des lettres d’azur…
Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez,
Buvez avec nous le café arabe
Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous.
Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons
Sortez de nos matins,
Nous serons rassurés d’être
Des hommes comme vous!
Quand disparaissent les avions, s’envolent les colombes
Blanches blanches elles lavent la joue du ciel
Avec des ailes libres, elles reprennent l’éclat et la possession
De l’éther et du jeu. Plus haut, plus haut s’envolent
Les colombes blanches, blanches blanches. Ah si le ciel
Était réel [m’a dit un homme passant entre deux bombes]
Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant
Le ciel de l’affaissement. Derrière la haie de fer
Des soldats pissent — sous la garde d’un char —
Et le jour automnal achève sa promenade d’or dans
Une rue vaste telle une église après la messe dominicale…
[À un tueur] Si tu avais contemplé le visage de la victime
Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre
À gaz, tu te serais libéré de la raison du fusil
Et tu aurais changé d’avis: ce n’est pas ainsi
Qu’on retrouve une identité.
Le siège est attente
Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête.
Seuls, nous sommes seuls jusqu’à la lie
S’il n’y avait la visite des arcs-en-ciel.
Nous avons des frères derrière cette étendue
Des frères bons. Ils nous aiment. Ils nous regardent
— et pleurent.
Puis ils se disent en secret:
«Ah! si ce siège était déclaré…» ils ne terminent pas leur phrase:
«Ne nous laissez pas seuls, ne nous laissez pas.»
Nos pertes: entre deux et huit martyrs chaque jour.
Et dix blessés.
Et vingt maisons.
Et cinquante oliviers…
S’y ajoute le poème, la pièce de théâtre et la toile inachevée.
Une femme a dit au nuage: couvre mon bien-aimé
Car mes vêtements sont trempés de son sang.
Si tu n’es pluie, mon amour
Sois arbre
Rassasié de fertilité, sois arbre
Si tu n’es pas arbre mon amour
Sois pierre
Saturée d’humidité, sois pierre
Si tu n’es pierre mon amour
Sois lune
Dans le songe de l’aimée, sois lune
[Ainsi parla une femme à son fils lors de son enterrement]
Ô veilleurs! N’êtes-vous pas lassés
De guetter la lumière dans notre sel
Et de l’incandescence de la rose dans notre blessure
N’êtes-vous pas lassés Ô veilleurs?
Un peu de cet infini absolu bleu
Suffirait
À alléger le fardeau de ce temps-ci
Et à nettoyer la fange de ce lieu
À l’âme de descendre de sa monture
Et de marcher sur ses pieds de soie
À mes côtés, main dans la main, tels deux amis
De longue date, qui se partagent le pain ancien
Et le verre de vin antique
Que nous traversions ensemble cette route
Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes:
Moi, au-delà de la nature, quant à elle,
Elle choisira de s’accroupir sur un rocher élevé.
Sur mes décombres pousse verte l’ombre,
Et le loup somnole sur la peau de ma chèvre
Il rêve comme moi, comme l’ange
Que la vie est ici… non là-bas.
Dans l’état de siège, le temps devient espace
Pétrifié dans son éternité
Dans l’état de siège, l’espace devient temps
Qui a manqué son hier et son lendemain.
Le martyr m’encercle chaque fois que je vis
— un nouveau jour
Et m’interroge: Où étais-tu? Ramène aux dictionnaires
Toutes les paroles que tu m’as offertes
Et soulage les dormeurs du bourdonnement de l’écho.
Le martyr m’éclaire: je n’ai pas cherché au-delà de l’étendue
Les vierges de l’immortalité car j’aime la vie
Sur terre, parmi les pins et les figuiers,
Mais je ne peux y accéder, aussi y ai-je visé
Avec l’ultime chose qui m’appartienne:
Le sang dans le corps de l’azur.
Le martyr m’avertit: Ne crois pas leurs youyous
Crois mon père quand il observe ma photo en pleurant
Comment as-tu échangé nos rôles, mon fils,
Et m’as-tu précédé.
Moi d’abord, moi le premier.
Le martyr m’encercle: je n’ai pas changé
Que ma place et mes meubles frustes,
J’ai posé une gazelle sur mon lit.
Et un croissant lunaire sur mon doigt,
Pour apaiser ma peine.
Le siège durera afin de nous convaincre de choisir
Un asservissement qui ne nuit
Pas en toute liberté!
Résister signifie: s’assurer de la santé
Du cœur et des testicules, et de ton mal tenace:
Le mal de l’espoir.
Et dans ce qui reste de l’aube je marche vers mon extérieur
Et dans ce qui reste de la nuit, j’entends le bruit des pas en mon intérieur.
Salut à qui partage avec moi l’attention à
L’ivresse de la lumière, la lumière du papillon dans
La noirceur de ce tunnel.
Salut à qui partage avec moi mon verre
Dans l’épaisseur d’une nuit débordant les deux places:
Salut à mon spectre.
Pour moi mes amis apprêtent toujours une fête
D’adieu, une sépulture apaisante à l’ombre des chênes
Une épitaphe en marbre du temps
Et tours je les devance lors des funérailles:
Qui est mort… qui?
L’écriture, un chiot qui mord le néant
L’écriture blesse sans trace de sang.
Nos tasses de café. Les oiseaux les arbres verts
À l’ombre bleue, le soleil gambade d’un mur
À l’autre telle une gazelle
L’eau dans les nuages à la forme illimitée
Dans ce qu’il nous reste
Du ciel. Et d’autres choses aux souvenirs suspendus
Révèlent que ce matin est puissant splendide,
Et que nous sommes les invités de l’éternité.
Mahmoud Darwich